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Le politiquement correct

Je le disais en introduction : le « politiquement correct » est devenu l’un des pires cancers de nos sociétés démocratiques.

 

Certes, user du « politiquement correct » dans le cadre d’une réunion mondaine, d’une rencontre de politesse ou d’un repas d’affaires n’est pas dommageable ; dans certaines circonstances, en effet, une telle attitude peut se montrer appropriée en jetant les bases d’une courtoisie indispensable entre interlocuteurs.

 

A l’inverse, lorsqu’elle devient un véritable mode de fonctionnement jusqu’au point de s’ingérer dans les orientations politiques, on peut alors parler de nuisance. Or force est de constater que ce phénomène tend à s’amplifier depuis quelques dizaines d’années.

 

Une telle tendance n’est pas le fruit du hasard. Il faut se rappeler que pendant toute la période industrielle qui s’est étendue depuis la seconde moitié du 19ème siècle jusqu’au début des années soixante, le ton était à la morale et à l’excès de rigueur. Même s’il s’agissait d’une époque de transition extraordinaire, bousculée d’autant de révolutions technologiques que politiques, qui voudrait revivre des temps où l’instituteur s’accordait le droit d’infliger des châtiments physiques à ses élèves, où les vertueux se croyaient autorisés à jeter le discrédit sur celui qui n’assistait pas à la messe du dimanche et où les responsables politiques – phénomène symptomatique de l’ambiance générale – se perdaient d’une voix vibrante dans des discours solennels à l’arrière-goût patriotique ? Qui, enfin, voudrait retrouver le contexte d’une société où l’aide sociale était synonyme de soupe populaire et où les orphelins étaient placés dans des établissements dont on connaît aujourd’hui les effroyables abus ? Qui le voudrait, à part les habituels nostalgiques du « avant, c’était beaucoup mieux » ?

 

Se sont alors progressivement imposées les structures d’une nouvelle société post-industrielle, s’éloignant pas à pas de l’empreinte martiale laissée par les derniers conflits mondiaux et dont le corolaire a été son incontournable révolution culturelle. Certes, on peut se gausser de ces prétendus enfants gâtés, trublions et fumeurs de joints ; le fait est que le carcan d’autoritarisme imposé comme fondement de nos valeurs de société n’était plus ni souhaité ni souhaitable, pouvions-nous encore admettre qu’il eut été d’une quelconque utilité dans un contexte fort heureusement révolu. On peut expliquer beaucoup de choses ; cela ne signifie en rien qu’il faille les pardonner et encore moins les répéter. N’en déplaise aux nostalgiques.

 

C’est par ailleurs l’ensemble de notre société qui a évolué, instaurant de nouvelles lois, corrigeant des inégalités frappantes et mettant en place un tissu de protections sociales comme elle ne l’avait jamais fait auparavant. Dans le même courant, les grandes formations politiques ont elles aussi progressé au regard d’un phénomène bien connu, mais encore amplifié par les effets de l’effondrement du bloc soviétique, à savoir l’intégration réciproque de valeurs qui auparavant les opposait. La gauche traditionnelle s’est ainsi grandement rapprochée de la droite en intégrant certains fondements de l’économie de marché, de même que la droite s’est largement inspirée de son adversaire traditionnel par l’assimilation de valeurs sociales et l’adoption de principes de redistribution.

 

Bon, alors tout va bien ? Non, tout n’est pas aussi simple. Le corolaire négatif de cette évolution se trouve aujourd’hui dans l’absence de grands projets politiques et l’émergence d’une nouvelle génération de politiciens, sans doute faits au moule d’une société un peu trop anesthésiée par le confort, et dont il est frappant de voir à quel point l’obsession première est de ne pas aborder les sujets qui fâchent.

 

Ajoutons sur leur flanc droite l’influence croissante des lobbies qui tend à donner quelques claques aux initiatives de régulation économique trop téméraires et, flanqués sur leur gauche, quelques élites « bobo » dont l’absence de réalité de terrain n’a d’égale que les cris à l’injustice sociale, et voilà nos politiciens engagés dans le couloir de la médiocrité… dont il ne reste qu’à enfoncer les portes ouvertes pour tout coup d’éclat.

 

Oui, je sais, c’est un peu caricatural. Mais il est une autre réalité que nous ne devons jamais oublier, à savoir qu’ « on a toujours les politiciens qu’on mérite ». Car, en effet, ce sont nous, électeurs, qui jouons un rôle déterminant quant à la réalité du contexte politique actuel, soit en laissant le soin aux autres d’aller voter à notre place, soit en glissant sans doute trop souvent dans les urnes des listes « prémâchées » que nous n’avons pas pris le soin d’examiner en détail.

 

Pourtant, les politiciens à la fois intègres, autonomes et visionnaires existent ; certains, du reste, sont aux commandes, mais ils sont minoritaires.

 

A nous de mieux les découvrir et les soutenir, fussent-il de gauche ou de droite. Car les désaccords sur de vraies visions politiques valent mieux que l’absence de vision.

 

 

 

 

Extrait de "Philosophie et lucidité",

par Marc-André Del Pedro

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